Le dry january, c’est fini.
On en a entendu parler partout : sur les réseaux, à la radio, à l’épicerie ou chez mamie.
Garder la convivialité sans consommer de l’alcool est devenu une question très actuelle.
On le voit aussi dans les rayons des supermarchés, les linéaires de bières sans alcool s’aggrandissent.
Mais ce sont très majoritairement des bières industrielles, sans intérêt gustatif ou blindées d’additifs.
En tant que brasseurs et brasseuses, on veut mieux.
Il nous est alors devenu indispensable de comprendre ce qu’il se passe derrière nos cuves, de comprendre les leviers sur lesquels nous pouvons jouer, pour mettre notre créativité au service de cette nouvelle tendance.
C’est le sujet d’aujourd’hui.
Mettons-nous d’accord.
La bière sans alcool, c’est d’abord de la bière.
Et ce terme est encadré par la loi.
En France, c’est le décret bière qui fait foi :
>
“La dénomination “bière” est réservée à la boisson obtenue par
fermentation alcoolique d’un moût préparé à partir du malt de céréales,
de matières premières issues de céréales, de sucres alimentaires et de
houblon, de substances conférant de l’amertume provenant du houblon,
d’eau potable. Le malt de céréales représente au moins 50 p. 100 du
poids des matières amylacées ou sucrées mises en oeuvre. L’extrait sec
représente au moins 2 p. 100 du poids du moût primitif.”
Ce même décret précise le terme “sans alcool” :
>
“La dénomination “bière sans alcool” est réservée à la bière qui
présente un titre alcoométrique acquis inférieur ou égal à 1,2% en
volume.”
Pour qu’il y ait bière, il doit y avoir production d’alcool par fermentation. Pour qu’il y ait “sans alcool”, on ne doit pas dépasser 1,2% alc. vol.
En France en tout cas.
Parce que cette définition est loin de faire l’unanimité, chaque pays a ses définitions et ses limites :
Mon audience étant essentiellement française, je vais rester focus sur cette définition dans cet article.
Il y a trois approches :
– Approche “agir après” :
Je vais volontairement mettre de côté les solutions technologiques permettant de retirer l’alcool (distillation et filtration).
Elles nécessitent d’investir dans du matériel qui coûte la peau du cul et demandent de bricoler pour retrouver un goût de bière (arômes et adjuvants).
Une solution dont je ne suis, donc, pas du tout fan.
– Approche “agir pendant” :
Couper la fermentation est une solution très largement utilisée depuis les années 1990.
Elle est simple à mettre en oeuvre, ne nécessite ni investissement, ni changement de process de brassage.
Le principe est de démarrer doucement une fermentation alcoolique et de la stopper par le froid : dès que la densité voulue est atteinte, on descend le fermenteur < 4°C le plus rapidement possible.
Le résultat donne malheureusement des bières déséquilibrées et peu agréables à boire. On appelle ça le “goût de moût”.
Moi, j’appelle ça le “goût de pas fini”.
– Approche “agir avant” :
C’est l’approche la plus technique, la plus complexe à maîtriser. C’est aussi, pour moi, la plus stimulante.
Ici, l’idée est de faire un vrai travail de brasseur : préparer un moût adapté à la bière qu’on cherche à réaliser.
Dans cette approche, les trois leviers majoritaires sont :
En 2018, je goûte mes premières craft sans alcool : deux bières du BockAle. Leur stout Trou Noir et leur IPA Découverte.
C’est la révélation, je tombe le cul par terre.
Deux fois 50 cl de goût, d’arômes, de textures et de saveur. Après ces deux pintes, et je me sens frais, sans la barre au front de l’alcool.
C’est décidé : je veux en faire une.
Je commence donc par réfléchir et associer mes connaissance en chimie et en brassage.
Je prends quelques dizaines de litres d’un moût dans un fermenteur de 20 hl.
Et j’essaye les deux approches “agir après” et “agir pendant” :
Alors je me tourne vers l’approche “agir avant” :
Et cette fois, je ne reproduis pas l’erreur de ma toute première bière en pro : je prépare le terrain avec mes patrons, j’y vais doucement et j’attends la bonne période.
C’est ainsi qu’à l’été 2019, à Bordeaux, on commercialise 20 hl d’une bière à 1,5% en fûts. Elle est encore aujourd’hui à la gamme de la brasserie.
Le “sans alcool” n’était pas encore atteint, mais je me suis montré que c’est possible.
C’est à Brest que j’ai finalisé ce projet, en deux étapes :
En 2020, on descend à 1,5% en bouteille, après refermentation. Le “sans alcool” est atteint en fûts, mais la bière est trop déséquilibrée, trop flotteuse.
En 2021, on commercialise – enfin – une bière à 0,3% en bouteille. Et super équilibrée. On visait une IPA, on a eu un tout autre produit.
Dis-moi si tu veux que je détaille ce sujet, j’ai plein de choses à raconter !
Car sur ce challenge, je n’ai pas dit mon dernier mot.
Voilà à quoi ça sert de comprendre ce qu’on fait : chercher l’inspiration dans d’autres domaines, créer des ponts avec d’autres disciplines.
C’est en discutant avec mon fournisseur de levures, en lui expliquant mon projet, que j’ai pu confirmer mes premières hypothèses.
C’est en cherchant comment To Øl produit ses bières sans alcool que j’ai découvert la solution qu’on a ensuite utilisée à Brest.
Le développement des levures non-saccharomyces est très récent et les dogmes pro-saccharomyces encore très présents.
Il ne tient qu’à nous de sortir des sentiers battus, d’aller chercher l’inspiration ailleurs, dans d’autres pays ou d’autres disciplines.
A toi de jouer,
Bonne semaine à toi,
Un grand merci de m’avoir lu,
À vendredi,
Sébastien