Le 27 décembre 2019, je suis chez des potes à l’apéro. Mon téléphone sonne.
Je m’isole dans une pièce à part. Je décroche.
5 minutes plus tard, je reviens dans le salon, un gros sourire aux lèvres.
“Ils me prennent”.
On rentre à la maison.
Avec ma femme, et suite à nos péripéties bordelaises, nous avions décidé de nous rapprocher de nos familles.
On s’était donné un an.
Un an pour murir notre retour.
Un an pour réfléchir posément à notre projet.
Est-ce qu’on monte une entreprise tous les deux ? Est-ce qu’on cherche du boulot chacun dans notre branche ? Est-ce que je monte une brasserie tout seul ?
Est-ce qu’on rentre dans le Finistère ? Est-ce qu’on vise Nantes ? Et le Morbihan ? Et tiens, nos potes à Saint-Brieuc, ils ont l’air bien aussi. Ou Rennes ?
Trois semaines plus tard, une publication Facebook choisit à notre place.
On m’envoie une offre d’emploi.
Une brasserie historique de la région Brestoise cherche un responsable de production expérimenté pour continuer son développement.
Ils viennent d’investir dans une salle de brassage de 25 hl et les ambitions affichées me parlent. Au programme : piloter la production avec l’équipe en place, créer des bières, relancer les fûts, doubler les volumes, développer le bio.
Un sacré challenge sur le papier.
Mais j’ai l’impression que mon nom est écrit sur cette offre : des Nord-Finistériens avec une double expérience en brasserie et industrie, ça doit pas courir les rues !
Alors je postule.
Je demande de l’aide à un pote pour présenter ma candidature. Montrer à l’employeur que je coche toutes les cases. Que c’est de mon profil dont il a besoin. Que je suis la bonne personne pour ce poste.
Je suis déterminé, ce boulot il est pour moi.
Après ce fameux coup de fil, j’ai donc été embauché en février 2020.
Avec deux axes prioritaires pour moi : gagner la confiance de mon équipe et celle de la direction.
Si je veux changer les choses, il faut que mes gars me suivent. Pour qu’ils me suivent, il faut qu’ils m’acceptent.
Et ça prend du temps.
Mais si je prends trop de temps, c’est la confiance de la direction que je perds.
Et mon boulot avec.
C’est donc une question d’équilibre.
Une question de rythme.
Trouver le bon tempo pour avancer sans se presser. Rassurer mon employeur sur son choix, rassurer mes gars sur ce choix.
Et me rassurer sur le miens !
Alors on y va franco : d’ici la fin de l’année, on lance six nouvelles bières. Toutes en bio.
Avec un fil rouge : terminer les projets inachevés à Bordeaux.
Une sorte de témoin, de symbole de passation.
Avant que je décide de quitter Bordeaux, deux nouvelles bières étaient prévues : une Kveik IPA et une triple.
Le jour de mon départ, elles étaient toutes deux en fermenteur. Tout juste brassées.
Je n’allais pas pouvoir les goûter.
Je ressentais alors un profond sentiment d’inachevé.
Une amertume palpable.
Car j’avais mis des mois à convaincre mes patrons et mes collègues de l’intérêt de créer des nouveautés.
Je ne voulais pas tout recommencer à zéro.
J’avais besoin de créer une continuité entre mon premier poste de brasseur et mes nouvelles responsabilités.
Trois ans après ma reconversion abrupte, j’avais besoin de créer une continuité dans ma vie professionnelle.
Alors on a sorti ces deux bières.
Ce Belgian Tripel rond et chaleureux.
Cette Kveik IPA sèche et puissante.
Et j’ai gagné la confiance de mes gars.
Et j’ai gardé la confiance de la direction.
Et on a lancé la machine.
J’ai découvert l’univers de la brasserie professionnelle en 2016.
Avant, j’avais un boulot de bureau.
Je n’avais jamais branché une pompe de ma vie. Je n’y connaissais rien en ligne d’embouteillage. Je ne savais pas tirer une bière et je ne comprenais rien à toutes ces histoires de pression & température.
Six ans plus tard, je pilote une équipe de tueurs.
En moins de 36 mois, on a créé une vingtaine de bières différentes. On a pratiquement doublé les volumes. On a relancé les fûts. On a lancé les canettes. On a formé une brasseuse.
N’attends pas.
Vas bosser dans une brasserie.
Ou lance la tienne.
Et quand tu regarderas ton parcours dans six ans, putain tu seras fier.e de toi.