Un frein récurrent à sa reconversion est la croyance que son manque de compétences et d’expérience brassicole est fatal. 

 

Je tiens à te rassurer : c’est complètement faux.

 

Je t’ai précédemment parlé de comment j’ai trouvé un poste de brasseur, des trois propositions de CDI malgré mon parcours. Ou plutôt grâce à mon parcours, et grâce à mes forces.

 

Aujourd’hui je te raconte la suite : comment je suis passé, dans les faits, de brasseur amateur à brasseur professionnel.

1. Les difficultés

Je vais être honnête : au début, j’ai galéré

 

Physiquement d’abord, parce que c’est un métier qui sollicite beaucoup le corps. 

 

Porter des sacs de 25kg, dédrêcher, monter/descendre des escaliers 20 fois par jour, manipuler la même bouteille 4 fois (multiplié par plusieurs milliers !), porter des fûts vides/pleins, nettoyer les cuves (à la main), passer la raclette constamment pour éviter l’inondation.

 

Psychologiquement ensuite, parce que j’avais sous-estimé la somme d’informations à assimiler. 

 

Amorcer une pompe correctement et y brancher les tuyaux dans le bon sens, ouvrir les bonnes vannes dans le bon ordre, utiliser le bon produit pour la bonne étape. Assimiler les protocoles pour stériliser, régler et nettoyer l’embouteilleuse et l’enfûteuse. Comprendre pourquoi ma filtration se passe mal, apprendre les tips pour y remédier.

 

Sur 20 L, ce n’était pas aussi physique et je n’avais pas besoin de réfléchir autant : je pouvais porter mon matériel. Si mon filtre se bouchait, je récupérais le moût au pichet, transvasais dans un seau, puis nettoyais ma cuve, remettais le moût dedans et continuais mon brassin. Sur 10 hL, c’est absolument impensable.

 

Autant de dire que pendant un mois, j’étais blindé de courbatures et de fatigue.

2. L'adaptation

Les connaissances et l’expérience que j’ai acquises en brassant en amateur m’ont évidemment servies. Mais j’ai eu besoin de déconstruire des habitudes et des réflexes. 

 

J’ai eu besoin d’apprendre à travailler méthodiquement, pour maitriser trois piliers fondamentaux du brasseur professionnel :

– l’hygiène

– les pompes et les tuyaux

– la gestion du temps

 

La formation était intense avec 3 à 4 brassins de 10hl par semaine, en plus d’un enfûtage et d’un embouteillage. Auxquels on ajoute évidemment les nettoyages de fermenteurs et les étiquetages / encartonnages.

 

C’était la période la plus frustrante pour moi : je voyais mes progrès, mais je sentais que j’étais encore en apprentissage.

3. La maîtrise

Grâce à cette formation intensive et exigeante, au bout de 6 mois, j’étais capable de piloter une semaine complète de travail.

 

J’ai découvert le plaisir du silence le matin, avec le bullage des fermenteurs comme seule compagnie.

 

J’ai découvert le plaisir de laisser mon esprit s’envoler pendant les longues sessions d’embouteillage.

 

J’ai découvert le plaisir de lancer l’eau chaude et le moulin, de sentir les effluves de céréales qui émanent de la cuve d’empâtage. 

 

Le petit dej du brasseur. 

 

Un vrai moment privilégié, en tête à tête avec les cuves.

 

Et là, à ce moment, j’ai compris que j’étais à ma place

 

J’avais atteint mon objectif : j’étais brasseur.

4. La création

Tout en continuant à prendre de l’expérience, j’ai pu commencer l’exploration pour sortir à nouveau de ma zone de confort : créer des recettes et améliorer le process.

 

Certaines ont été des échecs commerciaux (un porter sec au café pour Noël ou une IPA maltée à 7,5% pour l’été, c’étaient de mauvaises idées), mais elles m’ont permis d’apprendre et de m’adapter aux goûts des clients (une Session Pale & Wheat à 2,5% sous la canicule bordelaise, une Rye IPA bien sèche à 5,5%, ou une Triple tourbée au cassis, ça a très bien marché !) 

 

Ces réalisations m’ont permis de passer à un niveau supérieur pour créer un poste qui me ressemble : au bout de 18 mois, je devenais le brasseur principal, gérais les appros de matières premières et créais les nouvelles recettes. 

5. La transmission

Ces nouvelles responsabilités arrivant et les volumes augmentant, j’ai eu besoin d’un assistant pour m’aider. 

 

À la base, c’était pour me décharger d’une partie de la masse de travail. De la même façon que mon patron m’avait transmis son savoir, je transmettais le miens à mon assistant.

 

Je me suis rendu compte que j’en tirais bien plus de bénéfices : j’ai découvert que j’adorais transmettre à d’autres passionnés. 

 

Je voyais pourquoi il galérait, parce que j’étais moi-même passé par cette étape, et je guettais le moment où – lui aussi – allait atteindre l’étape suivante. 

 

Quand ça a été le cas, j’ai lu dans son regard un mélange de fierté et d’incrédulité : “putain, je suis brasseur !”.

 

Et j’ai à nouveau eu cette sensation d’accomplissement : j’avais formé un padawan. J’avais transmis mon énergie et mes valeurs. De façon pérenne.

À ton tour

Alors n’attends pas, vas voir une brasserie. Pour faire un stage, pour vendre tes compétences et ton énergie. Apprends au contact des pro. Tu feras des conneries, tu apprendras, tu t’amélioreras.

 

Tu ajouteras ta patte, tes valeurs, ton expérience.

 

Et j’espère que tu la transmettras après toi.

 

 

 

Cette approche me suis encore aujourd’hui, avec mon équipe et Derrière les cuves : apprendre, améliorer, transmettre. 

 

Continuellement.

 

Et je t’assure que tout, absolument tout s’apprend.

 

 

Qu’en penses-tu ?